samedi 11 novembre 2017

Le papillon de Andrus Kivirähk




Résumé de l'éditeur :

Estonie, début du XXe siècle. Un soir, au sortir de l’usine dans laquelle il travaille, August rencontre par hasard le directeur du théâtre l’Estonia. Il quitte son emploi d’ouvrier et intègre la troupe, qui s’avère aussi loufoque qu’hypersensible : Pinna, le fondateur, les comédiens Alexander, Eeda, Sällik, Oskar… mais aussi Erika, sa future femme, qui rejoint le théâtre peu de temps après lui. Elle symbolisera le Papillon, l’emblème du théâtre, en lui insufflant la légèreté dont le début de siècle prive le pays. Les planches de l’Estonia sont bientôt le seul lieu où la liberté et l’amour peuvent encore résonner, où les rires de l’amitié, les jeux et l’espièglerie ont encore leur place. Mais le théâtre, comme le papillon, est gracile : la brutale réalité du monde s’y invite, et, aux alentours, le chien gris qui la représente rôde et menace de soumettre cette troupe de rêveurs solidaires à la violence, à la séparation et à la mort.

Le Papillon est le premier roman d’Andrus Kivirähk, et le résultat inattendu d’un travail qu’il menait initialement sur l’histoire du théâtre estonien. Emporté par son sujet, l’auteur a abandonné en cours de route son étude pour en incorporer les éléments à un roman mêlant l’histoire et l’imaginaire. On retrouve dans ce texte des comédiens ayant réellement existé, mais aussi les premières manifestations de l’imagination intense de l'écrivain (on y découvre notamment des femmes oiseaux, un comédien loup-garou ou encore un chien incarnant La Mort). Mais ce qui rend le livre si attachant et particulier dans l’œuvre de Kivirähk, c’est avant tout sa beauté mélancolique. Le peuple estonien a principalement vécu, du Moyen Âge jusqu’à l’écroulement de l’URSS, une existence placée sous le signe de l’oppression et des invasions. Durant près d’un millénaire, il n'a connu l’indépendance qu’au vingtième siècle, au cours de la parenthèse dorée de l’Entre-deux-guerres. En mettant en scène une troupe de comédiens qui connaîtra l’avènement et la fin de cette parenthèse, Andrus Kivirähk dresse le portrait émouvant de gens simples, courageux et résistants, dressant leur humanité comme seul rempart à la barbarie.

La fiche du livre sur le site de l'éditeur, le tripode, et sur Babelio.

Ma critique :

Le papillon est un roman narrant une histoire réaliste et intimiste sur un ton merveilleux. Il emprunte la manière de raconter à une sorte de fantastique mystique rappelant les contes, se place dans un contexte historique bien précis (l'Estonie au début du 20ème siècle, avant et pendant la guerre) mais se concentre finalement surtout une perception onirique de rapport humains fusionnels dans un petit groupe. Et le mélange prend bien !

J'ai beaucoup aimé ce livre réellement original. C'est très bien écrit, à la fois dur, onirique, intime, psychologique, irréel, drôle et terriblement humain. C'est pour moi une vraie belle découverte comme j'en ai fais bien peu récemment. Le récit en lui même n'est pas très présent, on pourrait dire que le point de vue est plutôt contemplatif, mais sans immobilisme non plus. 

Le fantastique (ou même le côté historique) sert ici de support à l'intime, à la manière de se représenter le monde tout en se plaçant légèrement en dehors de celui-ci. Les éléments féeriques servent d'avantage à donner une cohérence et une notion de destinée qu'à surprendre ou apporter de l'intrigue. D'ailleurs, les métaphores les plus présentes et les plus visibles ne sont pas forcément des plus originales ou intéressantes mais permettent de maintenir le lecture dans une bulle irréelle, pour un résultat presque plus généralement artistique que juste littéraire. La belle édition y contribue. 

Quelques citations :

"Quand nous émergeâmes le lendemain matin d'un doux sommeil, ce fut pour voir paraître Karro, les yeux rougis et hagards après sa nuit passée à répéter, mais le rôle su et lui comprimant la tête comme une casquette trop petite de deux tailles. Il fut incapable de manger quoi que ce soit et se borna à boire une goutte de café, craignant sans doute que, farci de texte comme il l'était, le moindre morceau ingurgité ne rompît cet équilibre instable et ne lui renversât tout son Shakespeare cul par-dessus tête."

"À la fin, nous ne dormions pratiquement plus. Nous n'en avions pas le temps. Le sommeil, qui au début nous accablait cruellement, ne parvenait plus à pénétrer dans nos organismes, car toutes les ouvertures par lesquelles il aurait pu entrer en nous s'étaient desséchées et refermées : seule son ombre nous environnait encore et nous plongeait dans une stupeur étrangement extatique. Nous marchions comme dans le brouillard et demeurions, par moments, à écouter avec intérêt notre propre voix, sans réaliser qui parlait."

"[...] même s'il serait élégant de modifier légèrement la vérité, toujours banale, rarement assez jolie, qui s'étale partout comme de la gadoue et qu'il faut repousser du pied pour avoir la place de remuer !"