mercredi 28 février 2018

Suzanne et l'influence de Frédérique Cosnier



La fiche du livre sur le site de l'éditeur, la clé à molette et sur Babelio.

Ma critique :

Ce roman un monologue halluciné d'une femme "folle" qui nous raconte quelques jours épiques de sa vie.

L'ambiance est très bien posée, le style s'y accorde parfaitement. Le roman est étrange et intéressant, son intérêt est littéraire plutôt que narratif.

Car s'il se passe des choses, pas pas des moindres, l'originalité est dans la vision délirante de l'héroïne. Elle est décalée de la réalité, dans son monde en même tant que le notre. On suit ses rêves éveillés, incertain de ce qu'il se produit vraiment, happé dans son manque de lucidité et pourtant toujours ancré dans le monde réel et ses problématiques.

J'ai aimé à quel point l'auteur à su décrire la folie du personnage. Les idées ne sont pas vraiment fausses, les échelles de réalités et de leurs importances floues.

Le style est formidable, ce qui en fait une très bonne découverte ! Il est également un peu indigeste peut-être, pas étonnant vu l'exercice, mais comme le roman est très court je n'ai même pas eu le temps d'en souffrir. À mon avis, il vaut mieux éviter d'entrecouper cette lecture par d'autres pour ne pas trop sortir de l'ambiance créée. Assurément un très bon livre pour qui aime le genre. Pour ma part j'aimerais lire plus souvent des textes aussi originaux !

Apparemment, le livre est inspiré du film Une femme sous influence de John Cassavetes. Je ne l'ai pas vu et n'ai pas ressenti de manque à cette lecture, qui se suffit en elle-même.

Ma note : 4/5

Un extrait :
Je ne sais pas du tout pourquoi le type a eu ce comportement incroyable derrière moi. Ce que j'avais bien pu faire qui ne lui plaisait pas. Peut-être que le feu n'était pas vraiment rouge quand je me suis arrêtée, ou rouge clair, peut-être qu'il avait envie que je passe quand même, entre l'orangité et le carmin ciel. Il considérait que j'avais le temps d'y aller et de m'engager devant en plein milieu du carrefour, au risque d'y laisser ma peau, comme une vraie guerrière, une amazone du bitume mais décidément, les femmes au volant, etc. J'ai entendu sa voix autour de ma tête. Son jugement sur ma vie entière, l'instabilité de mon axe, mes changements de cap. Une voix vulgaire et très générale. Les gens ne connaissent rien à votre tournure, à votre expression, mais voilà ils ont attrapé un geste au vol, un geste vu de loin, et ils pensent vous lire dans ce geste unique. Et lorsqu'ils sont soumis à un de vos gestes, accélérer ou ralentir à un carrefour, lorsqu'ils sont inclus dans votre décision sans l'avoir voulu, le sort les accable à travers vous et ils voudraient vous éliminer. Cependant le meurtre ne s'accomplira que par cette main appuyée sur le centre du volant ou sur la petite manette latérale. Le besoin d'anéantissement s'assouvira dans un Tüüt de mouette enrouée. Ça cerne les villes aux croisements en tous genres comme dans un ultime réseau de boyaux, pétaradant dans la douleur.

mardi 6 février 2018

Nos souvenirs sont des fragments de rêves de Kjell Westö


Descriptif éditeur :

«La première fois où j’ai fait l’amour avec Stella, j’ai su que je ne pourrai jamais plus vivre sans : elle passera toujours avant les convenances, la carrière, avant même la morale. »


Helsinki, années 1970. Stella, Alex et leurs amis sont remplis d’ambitions et de hautes espérances. Dans la fougue de l’adolescence, ils font les quatre cent coups. Mais une passion dévorante vient troubler leur insouciance, et arrive le temps de l’âge adulte et des compromis. Mais oublie-t-on jamais son amour de jeunesse?
Porté sur cinquante ans par un souffle irrésistible, ce roman est le portrait sensible d’un amour destructeur et de l’éveil au monde de toute une génération. Au sommet de son écriture, Kjell Westö tire avec brio les fils du destin et nous offre l’égal scandinave de Bienvenue au club de Jonathan Coe et des Intéressants de Meg Wolitzer.


Ma critique : 

Le cœur du livre - l'histoire d'amour moderne et pas à l'eau de rose - est bon, voir très bon. Pendant une grosse centaine de pages, l'auteur sait nous happer dans l'univers de son héros, avec une grande subtilité humaine sans donner dans le cliché. Mais voila, le livre compte plus de 400 pages supplémentaires.


Toute la vie du héros est racontée avec grande précision, donnant un style que j'ai trouvé lourd et manquant d'élan à la grande majorité du livre. C'est visiblement un style recherché, puisqu'il le vante lui-même en mettant en scène son auteur :
" Joue-moi Galveston était une fiction de la première à la dernière page, une pure invention ;
j'en ai toutefois composé les scènes avec une précision et une prudence qui, dans l'instant de l'écriture, m'apparaissaient angoissantes mais se sont révélées bénéfiques pour le récit : j'écrivais mieux quand je n’assommais pas le lecteur de sentiments et d'interprétations comme j'en avais l'habitude jusque-là.".
Personnellement, je n'adhère pas. C'est d'autant plus dommage que ça noie un peu certaines descriptions bien écrites dans une masse de détails inintéressants et bien peu poétiques. Un exemple :
" L'idée d'écouter au cours de la soirée Une heure avec... venait de moi. Le concept de cette série d'émissions de radio diffusées pendant l'été reposait sur un entretien entrecoupé de plages musicales pendant soixante minutes, parfois quatre-vingt-dix, avec une personnalité du monde culturel. Le format existait sur P1, l'une des stations du service public suédois, et sur Radio Vega, la station suédophone de la radio-télévision publique finlandaise. Il était possible de les télécharger en podcast juste après la diffusion et j'avais pour habitude d'en écouter une par soir."


Côté "intrigue" on a droit à une petite introduction façon thriller comme prétexte aux souvenirs, dont on ne verra réémerger le thème qu'en fin de roman. Au début comme à la fin, j'ai trouvé cet élément raté, un peu convenu, peu crédible, sans âme et sans rythme. On a ensuite un récit de l'enfance du héros et de son amitié absolue avec un enfant de la haute société dans leur manoir. Le récit se teinte de touches nostalgiques sans tabou. Ici, la petite sœur fait office au mieux de figurante. Le récit bascule ensuite sur l'histoire d'amour avec elle, et là c'est au tour de la plupart des autres éléments de faire office de décor pour une histoire bien montée, avec des sentiments globalement plus réalistes et lucides que romanesque, et une vision de l'amour plus réfléchie et remise en question que ce que l'on voit bien trop souvent. Cet élément persiste dans la (très) longue suite du roman, racontant la vie et l'évolution (la stagnation ?) sentimentale du héros. Là, le récit se perd un peu en tout et rien. On suit vaguement le devenir des différents personnages sans s'y attacher et les bons points sont noyés. C'est dommage, parce que la vision de la maturité en tant que célibataire endurci, la vision des amours libres à moitié assumées seulement, la vision de la famille à travers le temps sont des thèmes traités avec originalité pour le monde littéraire. On sort un peu (encore qu’avec une analyse étonnamment timide sur certains sujets, mais c'est moi) des schémas de genre ou maritaux classiques sans en faire des tonnes ou être volontairement original et ça c'est chouette. Avec un raté sur la bisexualité quand même, trop mise en scène et qui cette fois n'évite pas le cliché. La capitalisme avec le profit à tout prix est plus ou moins dénoncé, mais c'est d'avantage un vague décor qu'un thème réellement abordé. Tant mieux, parce que le traitement n'en est pas bien profond, comme celui du terrorisme qui en plus tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.


En bref, un avis en demie-teinte mais surtout : Quel dommage !

Ma note : 2/5

D'autres citations :

[...] et si elle [la relation] ne nous avait pas donné ce que d'aucuns prennent pour des symboles d'amour (le mariage, un foyer et des enfants en commun), elle nous avait offert des moments de bonheur, une bonne quantité de malheurs et, enfin, un amour qui avait tenu au fil du temps, même s'il prenait désormais la forme d'une amitié.


- Je suis un homme, ai-je tenté de plaisanter. Je ne peux pas être une traînée. Tu peux me traiter d'obsédé sexuel autant que tu veux. De mari infidèle d'une certaine manière. de pervers polymorphe à l'extrême limite. Mais pas de traînée.
- Epargne-moi tes conneries, tu veux ? Tu es une traînée comme on n'en fait pas, point à la ligne.


L'enfance est parait-t'il une période marquée par l'innocence ; lorsqu'on sort de l'une, on perd l'autre. Mais certains connaissent une enfance peuplée de ténèbres et de sentiments contradictoires, elle n'est pas une période innocente pour tout le monde.
Quand j'étais petit, je n'étais pas sûr des sentiments que j'éprouvais pour papa et maman. Ils étaient certes de bons parents, qui faisaient leur possible pour moi ; mais ils étaient fondamentalement différents, non seulement l'un et l'autre mais aussi de moi - une différence encore plus marquée au sein du reste de ma famille. Je me sentais étranger auprès des miens. Or, dans le même temps, j'étais incapable de leur expliquer qui j'étais. En conséquence, je me sentais seul.